Le secteur littéraire n’est pas épargné par la surproduction et la surconsommation, avec à la clé beaucoup de gaspillage ! Certaines librairies entrent en résistance pour redonner du sens à leur métier et sensibiliser tant l’interprofession que les lecteurs et lectrices.
La rentrée littéraire de septembre (et ses 459 nouveaux romans) à peine digérée, voici celle d’hiver avec 507 nouveautés qui entrent dans les rayonnages des librairies. Une production pléthorique qui finit par accabler les libraires : ces derniers n’ont plus le temps de lire et passent la majeure partie de leur temps à déballer, trier et ranger des livres.
Une première trêve en 2024
De janvier à juin 2024, l’Association pour l’écologie du livre avait lancé un appel à la « trêve des nouveautés », à laquelle une trentaine de librairies françaises et belges ont participé. Les profils sont variés : des librairies généralistes ou spécialisées, dont les chiffres d’affaires oscillent de 200 000 à 2 millions d’euros, avec des équipes de 1 à 20 personnes et une ancienneté de moins de 3 ans à plus de 20 ans.
Elles ont mis en place des méthodologies différentes, certaines ayant décrété une trêve intégrale, d’autres ayant limité leurs achats aux essentiels ou encore ciblé des rayons en particulier, comme celui de la jeunesse.
Pas d’incidence sur le chiffre d’affaires
Les résultats présentés le 9 décembre dernier révèlent que les librairies participantes qui ont réduit leur offre n’y ont pas perdu en chiffre d’affaires. Elles en ont profité d’ailleurs pour repenser leur fonctionnement, notamment en consacrant une part des achats à des nouveautés plus anciennes (plus de trois mois) et en les laissant plus longtemps à disposition de la clientèle.
En outre, l’opération est passée plutôt inaperçue du côté du public. En revanche, elle a généré quelques frictions avec certains représentants et directions commerciales, qui ont pu restreindre leurs visites ou proférer « des menaces sur les conditions commerciales ». Malgré tout, de leur côté, les libraires « ont trouvé la démarche enrichissante, permettant de redéfinir leurs priorités et de libérer du temps pour travailler davantage sur les fonds ou explorer des commandes spécifiques », et donc de passer moins de temps à traiter des cartons à l’office…
62 % des nouveautés sont détruites
Cette action permet également de mettre en lumière le gaspillage considérable dans le secteur du livre. En vingt ans, la production de nouveautés a augmenté de 50 %. En 2022, les principaux éditeurs français ont publié plus de 111 000 titres et imprimé 536 millions d’exemplaires. Le lectorat n’en a acheté « que » 448 millions ; 25 000 tonnes sont parties directement au pilon (soit à la destruction) *.
L’Association pour l’écologie du livre indique que 62 % des nouveautés sont invendus et réexpédiés chez le distributeur pour être détruites… une surproduction et un gaspillage que certaines librairies assimilent à la logique de la fast fashion (ou encore de la fast déco).
Renouvellement de la trêve en 2025
L’association appelle à renouveler l’expérience en 2025, de mars à avril, en parallèle d’un travail interprofessionnel « pour élaborer un contrat commun, équitable et juste, destiné à fédérer les différents acteurs des mondes du livre et de la lecture ».
En ce qui concerne les librairies ayant déjà participé à la démarche en 2024, l’association indique : « aucun·e ne semble imaginer revenir à “l’anormal” et tous·tes souhaitent continuer à revendiquer haut et fort leur indépendance. »
Si cette démarche permet aux professionnels de tout un secteur de commencer à se remettre en question et à tester de nouveaux modèles, elle doit interpeller le consommateur sur son propre rapport au livre et à sa consommation.
*Source : « Le livre-marchandise, un danger écologique » – Le Monde diplomatique (octobre 2024)