Les Français possèdent entre 6 et 10 cartes de fidélité. Si elles permettent de récompenser les achats par des avantages, le client est-il toujours gagnant dans l’affaire ?
Plus de 60 ans d’existence
Le première carte de fidélité a été créée en 1954 par la Fnac. Il s’agissait d’un carnet de coupons de réduction que les clients se procuraient moyennant quelques francs. Aujourd’hui encore, la carte de fidélité de l’enseigne est payante (5 €).
Mais la plupart d’entre elles sont fournies gratuitement, en échange de quelques données personnelles. Ces cartes sont-elles réellement avantageuses ? Que font les entreprises de nos données ? Leur version dématérialisée est-elle meilleure ? Sont-elles compatibles avec des modes de consommation plus responsables ?
Chacun sa carte de fidélité
Presque toutes les marques et toutes les enseignes proposent un programme de fidélité. Qu’il s’agisse de la grande distribution, des enseignes de prêt à porter, de bricolage, de cosmétiques, d’ameublement ou encore des instituts de soins par exemple.
Le fonctionnement des cartes de fidélité est simple. Il consiste à récompenser par des avantages les achats effectués par les détenteurs de la carte : des réductions immédiates ou différées, la livraison ou des retouches gratuites, des produits offerts ou encore des gains d’argent. Certains consommateurs les collectionnent et cumulent les points ou gonflent leur cagnotte.
Les cartes de fidélité séduisent davantage les femmes
Le 14 novembre 2021, l’Observatoire de la fidélité et de la fidélisation clientèle* a publié son 12ème baromètre, suite à une enquête menée auprès de 63 000 clients de 11 enseignes différentes de façon aléatoire. Au total, 906 questionnaires valides ont été recueillis.
L’analyse des résultats révèle notamment que près de 40 % des femmes détiennent plus de 10 cartes de fidélité, contre 16 % des hommes. Un chiffre en baisse par rapport à 2020. Les sujets plus jeunes (19-38 ans) ont tendance à posséder plus de cartes que les seniors (plus de 73 ans).
Ils sont également plus enclins à les partager avec leur entourage. 71 % des sondés utilisent leurs avantages, dont 52 % « systématiquement ». Là encore, les chiffres sont en baisse, les consommateurs ayant tendance à les oublier.
Quel intérêt pour les enseignes ?
Bien souvent, les enseignes réduisent leur marge pour offrir ces avantages. Mais dans quel intérêt ?
Ces gestes commerciaux ne sont pas purement altruistes. Si les entreprises cherchent à attirer et fidéliser les clients, c’est qu’elles y trouvent un bénéfice. De fait, les consommateurs ont tendance à acheter en plus grande quantité et plus souvent lorsqu’ils cagnottent des points ou de l’argent. Les magasins s’en trouvent donc gagnants.
De son côté, la grande distribution propose souvent des remises sur les produits de marques distributeurs, ce qui sera plus avantageux pour elle.
Mais les cartes de fidélité permettent aussi aux enseignes de collecter des informations sur les consommateurs et leur comportement d’achat. Des informations riches d’enseignement, dont elles pourront se servir afin de proposer des offres ciblées.
C’est aussi un bon outil pour inciter un client à revenir lorsque ce dernier n’a rien acheté depuis longtemps.
Optimiser l’expérience client
L’objectif des marques et des magasins est d’une part d’attirer de nouveaux clients, d’autre part de les retenir grâce à leur programme de fidélité. Et cela ne passe pas que par une carte offrant des avantages pécuniers. L’expérience client est aussi un facteur déterminant.
Ainsi, l’atmosphère d’un magasin, les senteurs, la musique, la décoration intérieure, l’agencement…, tout cela participe à une sensation de bien-être pour le consommateur.
Des sensations agréables qui se transforment en sentiment positif et incitent à envisager une visite ultérieure (en particulier si l’expérience d’achat est réussie).
Partager des valeurs
Selon l’Observatoire de la fidélité et de la fidélisation clientèle, les programmes de fidélité qui ont le plus de succès sont aussi ceux qui associent le geste commercial à un partage de valeurs. Les enseignes qui établissent un lien avec leurs clients créent une proximité et un sentiment d’empathie propices à un attachement. En particulier lorsque le client retrouve au sein d’une marque un concept proche de l’image qu’il se fait de lui-même.
Tout ce qui a trait à la nostalgie fonctionne également très bien.
Enfin, les capacités d’innovation sont très appréciées. De fait, les programmes de fidélité qui se réinventent et proposent régulièrement de nouveaux avantages ont la préférence des consommateurs. C’est particulièrement vrai pour la clientèle féminine. Les hommes sont quant à eux plus sensibles aux bénéfices perçus.
Les stratégies des marques
Deux stratégies sont mises en œuvre dans les programmes de fidélité : les remises immédiates et la stratégie de rétention (qui consiste à octroyer des avantages dont le client bénéficiera plus tard).
Les marques et enseignes sont constamment en équilibre entre la nécessité de se distinguer de la concurrence tout en surveillant les autres pratiques. Mais d’après l’étude de l’Observatoire, ce qui fonctionne le mieux, c’est d’accorder des remises sur des produits onéreux et/ou en quantité limitée et d’opter pour la stratégie de rétention pour les produits de consommation courante (très fréquent dans la grande distribution).
Besoin de transparence
L’Observatoire de la fidélité et de la fidélisation clientèle souligne le fait que les consommateurs sont sensibles à la transparence des informations transmises par les marques, mais aussi à l’usage que ces dernières feront de leurs données personnelles. La confiance et la bienveillance sont des facteurs d’attachement très puissants.
Mais avons-nous la certitude que nos données seront bien gardées ?
L’acquisition d’une carte de fidélité passe par le renseignement d’un formulaire dans lequel il faut indiquer nom, prénom, adresse et bien souvent un numéro de téléphone ou une adresse mail. Mais parfois, il faut aussi renseigner sa date d’anniversaire ou encore fournir des informations plus inattendues comme le nombre d’enfants par exemple.
Ces informations sont stockées dans des bases de données clients qui ne sont pas destinées à être communiquées à d’autres partenaires, sauf si le client y consent. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.
Fichiers clients revendus
La revente de données personnelles sans l’accord préalable de la personne concernée est illégale. Les fichieristes, qui revendent des fichiers clients avec les nom, adresse et téléphone, doivent être en mesure de prouver qu’ils ont obtenu le consentement individuel et exprès de chaque personne mentionnée.
Mais tous ne sont pas aussi rigoureux, comme l’a illustré une enquête des journalistes de France 2 dans l’émission « Tout compte fait » en 2018**. Ces derniers ont pu se procurer la liste de 1 500 contacts selon un profil ciblé et dans une zone géographique délimitée pour 348 €. Mais des entreprises peuvent débourser des dizaines de milliers d’euros pour obtenir des fichiers avec des critères plus précis et nombreux.
C’est ainsi que des consommateurs se retrouvent harcelés de coups de téléphone ou par des démarcheurs à domicile sans trop comprendre comment leurs coordonnées ont pu atterrir entre leurs mains. Si les cartes de fidélité ne sont pas les seules responsables, elles participent à cette fuite de données dans la nature.
RGPD : protection renforcée
Le « Règlement Général sur la Protection des Données » (RGPD) renforce les règles de consentement déjà inscrites dans la loi « Informatique et Libertés ». La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) veille aux respects de ces règles.
Sur son site Internet, le consentement est défini comme « toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».
Si le consentement est requis, il n’est pas la seule contrainte légale à laquelle le responsable de traitement doit se conformer. Il a également l’obligation de faciliter l’exercice des droits des personnes (information, opposition, rectification…), de minimiser le recueil de données (il doit être adéquat, pertinent et réduit à ce qui est nécessaire au regard de la finalité du traitement), de limiter leur durée de conservation et d’assurer leur sécurité.
La Cnil est en charge d’effectuer des contrôles, mais ses moyens sont limités.
Dématérialisation : carte de fidélité virtuelle
Certaines applications dans nos smartphones permettent d’enregistrer nos cartes de fidélité et de les stocker dans un portefeuille virtuel. Elles fonctionnent de la même manière que leurs versions physiques, mais en ayant l’avantage de prendre moins de place. Le client scanne un QR code ou un code barre au moment du passage en caisse.
Du côté des professionnels, la dématérialisation des cartes de fidélité leur garantit un risque de fraude moindre et le suivi en temps réel des actes d’achat réalisés, donc la possibilité d’ajuster la stratégie marketing en fonction du succès ou de l’échec d’une action promotionnelle.
« Géofencing » : le marketing numérique ciblé
Les programmes de fidélité virtuels permettent aux enseignes de mettre en place le « géofencing » que l’on pourrait traduire par « géo-repérage ». Une stratégie de ciblage marketing qui consiste à « appâter » le client.
Ce dernier reçoit des notifications sur son téléphone avec des offres ciblées, lorsqu’il entre dans le périmètre d’une enseigne (distance de quelques minutes à pied) dont il est porteur de la carte.
Cela nécessite évidemment d’avoir l’accord du client et de se conformer aux prescriptions du RPGD sur le traitement des données personnelles. Toutefois, les professionnels sont encouragés à ne pas en abuser pour éviter que ces alertes ne soient considérées comme de la publicité intrusive.
Programme de fidélité et consommation responsable sont-ils compatibles ?
D’après les travaux de l’Observatoire de la fidélité et de la fidélisation clientèle, il apparaît que les clients semblent peu convaincus par l’engagement et les valeurs mises en avant par les enseignes en termes d’écoresponsabilité. Ils ont tendance à penser que le but poursuivi est avant tout économique et mercantile.
Le baromètre s’est donc focalisé sur la façon dont les programmes de fidélité pourraient être un levier pour transmettre les valeurs sur lesquelles les entreprises s’engagent. Dans sa présentation des résultats, Juliette PASSEBOIS, maître de conférences à l’Institut d’administration des entreprises de Bordeaux, explique que l’idée était de rechercher comment l’engagement vertueux des entreprises pourrait être porté à la connaissance des consommateurs, via le programme de fidélité notamment.
La question était de savoir si un tel programme encouragerait les clients à s’engager auprès de l’enseigne pour aller vers une économie plus responsable.
Programmes « pro-sociaux » au succès limité
Des travaux académiques ont été menés, portant sur des programmes et marques fictives (à prendre donc avec du recul). Les premiers résultats démontrent que certains programmes dits pro-sociaux consistant par exemple à reverser ses points à des associations partenaires intéressent moins les clients et n’améliorent pas leur fidélité. En revanche, ils participent à la bonne image de l’enseigne.
Il en ressort également que les consommateurs sont plus sensibles et plus enclins à acheter auprès d’une enseigne ayant un engagement altruiste. Pour autant, ils ne dépenseraient pas nécessairement plus d’argent que dans une autre enseigne.
Acheter moins mais mieux ?
Quoiqu’il en soit, les programmes de fidélité ont vocation à attirer et faire revenir le client et donc à lui faire dépenser son argent dans une enseigne plutôt qu’une autre. A ce titre, les cartes de fidélité sont souvent montrées du doigt car elles inciteraient, sous couvert de réaliser des économies, à acheter davantage, voire à se procurer des produits inutiles.
Pour adopter un comportement d’achat plus écoresponsable, il faudrait donc acheter moins et ce dont nous avons réellement besoin. Cela n’est pas incompatible avec les programmes de fidélité mais à condition d’agir de façon plus réfléchie, par exemple en patientant pour bénéficier d’une promotion ou d’une offre sur des articles que nous avions de toute façon prévu d’acheter.
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*Cet observatoire est né d’un rapprochement entre AQUITEM, société bordelaise spécialisée dans la gestion complète de programme de fidélisation et l’IAE (Institut d’administration des entreprises) de Bordeaux, dispensant des formations de MASTER marketing.
**Émission « Les nouveaux dangers des cartes de fidélité » – Tout compte fait (disponible sur Youtube)