Depuis quelques années, des produits à base de chanvre sont accessibles au grand public, sous des formes diverses, en pharmacies ou en boutiques spécialisées. Huiles, graines, tisanes, tablettes de chocolat… Quelle législation encadre ces nouveaux produits ?
Les fleurs et les feuilles de la plante de chanvre dit industriel (Cannabis Sativa L) sont aujourd’hui commercialisées sous l’appellation générale « CBD » (pour CannaBiDiol). Ces extraits de chanvre ainsi que les produits qui les intègrent doivent avoir une teneur en THC (pour TétraHydroCannabinol) inférieure ou égale à 0,3 %, sous peine de relever de la politique pénale de lutte contre les stupéfiants. En effet, le THC est une molécule interdite en France depuis 1970 et classée psychotrope depuis 1971 par l’ONU.
CBD : ce que dit la loi
Le chanvre (sans THC) est un secteur porteur et dynamique en France, passant de 17 900 hectares cultivés en 2020 à 21 900 hectares en 2022. Des chiffres qui ne cessent de croître car cette plante présente non seulement des qualités permettant une culture respectueuse de la ressource en eau mais également une grande diversité d’applications dans le textile, la construction, l’alimentation, etc. Sur notre territoire, nous pouvons citer l’exemple de Chanvr’eel, une entreprise de transformation de la graine de chanvre bio et alsacienne à des fins alimentaires et cosmétiques (huile, tisane, savon, shampooing…).
Le gouvernement souhaite donc favoriser le développement de ces nouvelles activités économiques liées au chanvre. Pour autant, il n’est pas enclin à en accepter une des conséquences, à savoir l’accès du grand public à la plante brute.
Ainsi, la loi française autorise l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis Sativa L, variétés dont la teneur en THC ne dépasse pas 0,3 % et dont les semences sont certifiées par le Service officiel de contrôle (SOC). En revanche, la vente de plants et la pratique du bouturage sont interdites.
L’arrêté du 30 décembre 2021 (consultable sur www.legifrance.gouv.fr) dispose que « la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, notamment comme produits à fumer, tisanes ou pots-pourris, leur détention par les consommateurs et leur consommation sont interdites » entre autres pour raisons sanitaires (interdiction qui sera suspendue provisoirement, voir plus loin).
Il existe bien sûr les risques liés à la voie fumée (des éléments cancérigènes sont issus de la combustion des substances organiques) mais des études scientifiques ont également montré les effets psychoactifs du CBD. Cette substance agit au niveau du cerveau sur les récepteurs à la dopamine et à la sérotonine. Sa consommation peut donc entraîner des effets de somnolence voire de sédation. En outre, des interactions sont avérées entre le CBD et certaines catégories de médicaments tels que les antiépileptiques, les anticoagulants ou encore les immunosuppresseurs.
A noter que les produits contenant du CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des vertus thérapeutiques, à moins d’une autorisation de mise sur le marché en tant que médicaments. Quant aux allégations « bien-être », elles ne sont pas interdites mais demeurent invérifiables. Elles constituent néanmoins un puissant argument marketing…
A lire aussi : « Pratiques de soins « non conventionnelles«
Le CBD entre aussi dans la composition de denrées alimentaires. Avant toute autorisation de commercialisation, ces denrées sont soumises à l’évaluation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Plusieurs dossiers sont actuellement en cours d’évaluation et les premières conclusions de l’EFSA sur les risques associés à la consommation de ces produits devraient paraître fin 2022.
Par ailleurs, pour des raisons d’ordre public, le gouvernement justifie l’interdiction formulée en décembre 2021 par la nécessité de permettre aux forces de sécurité intérieure de lutter contre le trafic de stupéfiants. La Mildeca (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) précise en effet qu’il faut « pouvoir discriminer simplement les produits, afin de déterminer s’ils relèvent ou non de la politique pénale de lutte contre les stupéfiants ».
CBD : ce que dit le Conseil d’Etat
Certaines entreprises, qui commercialisaient (en toute légalité et avant l’arrêté) des parties brutes de la plante, ont aussitôt contesté l’interdiction de vente aux consommateurs. Résultat : la légalité de cette mesure peut être remise en question, selon le juge des référés du Conseil d’Etat, « en raison de son caractère disproportionné ».
En effet, cette interdiction totale pour les consommateurs se justifiait par le degré de nocivité pour la santé humaine des fleurs et des feuilles de Cannabis Sativa L. à teneur en THC inférieure à 0,3 %. Or c’est justement la teneur qui caractérise les plantes de chanvre autorisées à la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle. De plus, s’agissant du travail des forces de sécurité intérieure, les moyens de contrôle du taux de THC existent puisqu’ils sont détaillés en annexe de l’arrêté…
Aujourd’hui, le Conseil d’Etat ne s’est toujours pas prononcé sur la légalité de l’arrêté du 30 décembre 2021. Dans sa décision du 24 janvier 2022 (détaillée sur www.conseil-etat.fr), le juge des référés a suspendu l’interdiction de commercialiser à l’état brut les fleurs et les feuilles de CBD, à titre provisoire. Affaire à suivre.